Olivier DUHAMEL, Georges DUPUIS

« Compter avec la psychanalyse »

Pouvoirs n°11 - La psychanalyse - novembre 1979 - p.3

« Marcuse est mort ! Vive la psychanalyse ! » On pourrait imaginer que le comité de rédaction de cette revue s’est réuni sans tarder au lendemain du 29 juillet 1979 et a conçu ce numéro en hommage au philosophe qui, après avoir été tellement présent dans les révolutions étudiantes, disparaissait dans le semi-silence des vacances estivales : n’avait-il pas publié en 1955 Eros et civilisation (a philosophical inquiry into Freud) ?

Mais, sauf erreur, son nom ne figure qu’une seule fois dans ces pages qui, mieux vaut l’avouer dès l’abord, s’écartent quelque peu de nos habitudes : elles ne traitent vraiment pas « un thème d’actualité ». Celle-ci s’efface pour laisser la place à quelques réflexions en profondeur. Nous avons choisi de les organiser cette fois autour de la psychanalyse parce qu’il faut compter avec elle comme le montre l’histoire, même si elle est faite de « procès en idéologie » contre Freud et sa postérité (p. 105) et comme le soulignent la croissance des sociétés psychanalytiques, « gardiennes du message » (p. 123), ou l’ampleur des travaux produits (p. 69). A leur façon, ceux-ci ouvrent des voies qu’il serait absurde d’ignorer et surtout posent des questions singulièrement fécondes : la psychanalyse, fût-elle en crise (p. 89), ici ou ailleurs (p. 143), interpelle la science politique.

1. Sans trop le savoir, les politistes, aidés en cela par les doctrines qui ont érigé le citoyen en personnage clé de la vie publique, ont construit un homo politicus comparable à l’homo economicus ou au « bon père de famille » du Code civil : une espèce de microcosme de la Raison. Il faut retrouver l’homme réel et, pour cela, favoriser l’intrusion dans la science politique de toutes les sciences humaines. Or cet homme vrai est d’abord « un inconscient » (p. 115) et s’il raisonne sur l’Etat, il résonne du Pouvoir (p. 17).

2. Quant à celui-ci, macrocosme de la Raison, dans la perspective hégélienne, il est sacralisé et la psychanalyse donne au moins envie de rompre avec cette momification. Encore faut-il ne pas refuser cette perspective (p. 19), mais s’en prendre à l’idéologie (p. 33) et à l’institution (p. 41) triomphante ou paralysée (p. 56), « unité politique » ou entreprise (p. 131).

Après tout cela, ne peut-on espérer que la belle anthologie qui vient donnera au moins conscience de l’étonnante cécité de nos sciences sociales ? Oui ! l’Etat est bien lui-même le Mal-Entendu, mais l’homme n’est-il pas le Non-Entendu ? Et, de tout cet univers, on peut bien dire n’importe quoi, tant il est vrai que l’on en sait si peu pour ne pas dire rien…

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