Marc SADOUN

Introduction

Pouvoirs n°65 - avril 1993 - Morale et politique - p.3

Le thème s’écrit plus souvent dans la séparation que dans la conjonction.
La pensée moderne assimile et réduit le politique à la domination, réfléchit en
termes de hiérarchie et de pouvoir des uns sur les autres. Paul Ricceur, qui
n’est pas de cette école et, dans la tradition d’Hannah Arendt, trouve dans la
politique la plus haute expression de la vie sociale, celle où l’on avance avec
plutôt que sur ou contre, introduit un troisième terme : l’éthique. Par excellence lieu d’accomplissement de la visée éthique, le politique assure la pluralité et réalise par la justice le désir de vivre ensemble. Cette majesté du politique ne peut cependant s’exprimer, rappelle Paul Thibaud, sans un retour aux sources de la citoyenneté, celle qui repose sur le sentiment de responsabilité et l’inscription dans le groupe. La démocratie ne se comprend pas sans engagement moral.

Faut-il ajouter sans morale publique ? Le libéralisme lui-même ne s’est
jamais totalement accordé sur ce point : il n’y a pas d’opinion morale purement privée, comme le dit Lucien Jaume. A chacun sa morale, à chacun l’évidente supériorité de sa morale, et quand le politique utilise l’arme de la morale, c’est toute la frontière entre le public et le privé qui risque d’être emportée (Denis Lacorne) . Que l’on prenne la République étudiée par René Rémond, ou les familles politiques analysées par Alain Bergounioux et Jean-François Sirinelli, se dit la même chose : le politique trouve sa plus belle légitimité dans la morale, et la morale s’accommode mal du partage et de la communion avec l’adversaire politique.

Quand les principes se heurtent aux contraintes, se pose pourtant la question de l’aménagement et de la composition. Avec l’argent – dont Yves Mény étudie le rapport ambigu à la politique – et plus largement aussi avec la situation. Le réel ne connaît guère les figures contrastées et dans le même personnage – celui de Clemenceau par exemple choisi par Claude Gautier – peuvent coexister le moraliste et le machiavélien. Comment alors concilier les contraires, concevoir une écriture plurielle de la morale ? Comment, dans des sociétés où se combattent le laïcisme et l’intégrisme, l’Eglise peut-elle trouver sa place ? Gérard Défais clôt sur cette interrogation ce numéro.

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