Philippe ARDANT, Olivier DUHAMEL

Introduction

Pouvoirs n°59 - La Cour suprême des Etats-Unis - novembre 1991 - p.3

Rares sont les institutions passées dans l’histoire sans référence géographique les identifiant par un sol, une société, une civilisation. La Cour suprême des Etats-Unis figure parmi ces privilégiées. A la différence de ses soeurs aujourd’hui nombreuses à travers le monde, lorsqu’on veut parler d’elle on est dispensé de décliner sa nationalité.

A quoi doit-elle ce traitement d’exception ? Pas seulement à son antériorité, même s’il n’est pas indifférent que, siégeant pour la première fois le 2 février 1790, elle ait devancé de beaucoup sa première émule. Pas non plus à sa fonction déjuge unique de dernier ressort des décisions rendues sur le territoire américain par les juridictions fédérale et étatique en toutes matières civile, pénale, commerciale, sociale, ou administrative… qui constitue pourtant le courant de ses activités. Son prestige, en effet, tient avant tout au rôle, qu’elle s’est attribué, de contrôleur de la constitutionnalité des lois. Là elle a montré comment le juge pouvait devenir un troisième pouvoir, imposant aux deux autres le respect de la loi fondamentale, tissant en même temps les liens d’un système juridique rendu particulièrement complexe par son caractère fédéral et assurant fermement sa cohésion.

Si la Cour ne va pas jusqu’à gouverner – d’ailleurs elle ne le pourrait pas -personne ne conteste que son action soit politique. Elle est le constituant permanent qui a su adapter aux bouleversements de la société américaine un texte bicentenaire, reflet des préoccupations de son temps. Comment s’étonner alors que la désignation de ses membres intervienne à l’issue d’un processus minutieux et donne naissance à des controverses passionnées où la qualification juridique des candidats tient une place secondaire. Aussi bien puisqu’elle est appelée à se prononcer sur des lois tracées au coeur des grands débats de société, comme la ségrégation raciale, la peine de mort, l’avortement, le respect dû au drapeau, ses décisions pourraient-elles être accueillies avec indifférence par l’opinion ? Comment parfois ne serait-elle pas amenée à renverser sa jurisprudence au grand dépit de ses admirateurs de la veille ? Comment surtout, en définitive, ne pas s’interroger sur les valeurs où les juges
puisent leur conviction et sur leurs méthodes d’interprétation de la charte fondamentale ?

Il reste que derrière une histoire en apparence assez peu linéaire la Cour
suprême concilie audace et prudence. Elle choisit ses causes, et s’il en est
qu’elle ne peut esquiver, elle évite autant que possible le choc frontal et s’efforce de ménager à la fois le Président, le Congrès et le public. Elle sait en effet que sa légitimité est fragile et tient tout autant à son passé prestigieux et à son image de défenseur du droit qu’à l’harmonie de sa jurisprudence, sur une
longue période, avec le sentiment populaire.

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