Philippe ARDANT

Introduction

Pouvoirs n°57 - Nationalismes - avril 1991 - p.3

L’éveil des nationalismes scande l’histoire des deux derniers siècles. Entre ses poussées, avec leurs affrontements passionnels et sanglants, ses manifestations endémiques moins conquérantes n’ont guère cessé. Le nationalisme est une réalité permanente et universelle, à croire que Barrés avait raison de parler de déterminisme.

Toutes les tentatives de le dépasser échouent. Celles des Empires fondés
sur la force aussi bien que sur les idéologies ou les universalismes ; la révolte
des peuples, un jour, les emporte. Que reste-t-il ainsi des Empires ottoman
et britannique, ou de l’ensemble colonial rassemblé sous son autorité par la
France ? Le dernier Empire peut-être, l’URSS, se décompose sous nos
yeux ; la notion de peuple soviétique vole en éclats sous les coups des Baltes,
des Moldaves, des Géorgiens et des Russes eux-mêmes. De leur côté les peuples autrefois colonisés, à peine affranchis de la domination étrangère, se révèlent à leur tour impitoyables pour leurs minorités tentées de disposer de leur destin. Les structures fédérales même pourtant librement consenties et associant dans un Etat minimum des nations soucieuses de conserver leurs particularités religieuses, linguistiques, culturelles, sont incapables la Suisse
exceptée de résister durablement aux revendications nationalistes.

Derrière ses manifestations exacerbées le nationalisme pourtant n’est pas un. Qu’a en commun, par exemple, le nationalisme français, fondé sur le refus de la Révolution et une forme intransigeante de catholicisme, avec le nationalisme arabe appuyé sur une communauté de langue mais écartelé entre les nationalismes propres à chaque Etat arabe et incertain de ses rapports avec l’islamisme ? Et celui des Allemands n’est-il pas encore différent qui se cherche au lendemain de la réunification entre les aspirations souvent contradictoires des citoyens de l’Est et de l’Ouest ?

En définitive, à qui veut réduire les nationalismes, limiter leurs effets ou tenter de les éteindre, des expériences passées ou en cours proposent quelques voies. Donner tout d’abord aux minorités un véritable statut protecteur de leur identité, garanti par des procédures et une pratique démocratiques. Là où, d’autre part, les nationalismes se sont assagis, en Europe par exemple, où le temps a affaibli les susceptibilités des vieux Etats-nations, il est possible de pousser plus haut l’édification d’une maison commune où les peuples vivraient ensemble avec leurs affinités et différences. Ces quelques thèmes, parmi bien d’autres, sont au coeur de ce numéro.

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