Pierre AVRIL, Olivier DUHAMEL

Introduction

Pouvoirs n°13 - Le Conseil constitutionnel - avril 1980 (juillet 1991) - p.3

Le droit et la politique n’ont pas la réputation de faire bon ménage. Ils formeraient même un couple antinomique, si l’on en croit l’usage qui qualifie de « politiques », dans une décision, les éléments d’opportunité devant lesquels fléchit la rigueur du raisonnement juridique. Le droit international systématise cette opposition en distinguant le conflit politique, défini comme celui qui conteste le droit et prétend le changer, du conflit juridique, qui ne porte que sur son application : seul ce dernier se prête à une solution proprement juridictionnelle.

Dans un tel contexte, la situation de la juridiction constitutionnelle (si le Conseil constitutionnel mérite cette appellation, question académique toujours controversée…) apparaît paradoxale puisque sa mission est d’appliquer la règle de droit au niveau même de la formation de celui-ci. Passe encore que le Conseil se prononce sur l’origine des Pouvoirs publics en statuant sur l’élection des parlementaires, bien que la tradition réservât jusqu’en 1958 aux assemblées la vérification des pouvoirs de leurs membres, ainsi que sur celle du Président de la République, mais contrôler les décisions du législateur ?

L’antique querelle du Gouvernement des juges n’est pas loin, et le Conseil constitutionnel n’y a sans doute échappé jusqu’ici qu’en adoptant, dans un premier temps, un profil bas, avant de conquérir une réputation d’indépendance et d’impartialité mesurée aux désaveux qu’il inflige à l’Exécutif et à sa majorité. La politique n’est donc pas absente alors même que l’on prétend juger de la qualité du juge constitutionnel !

L’expérience a plus de trente ans. Elle suggère que l’opposition rituelle, que l’on évoquait en commençant, méconnaît la nature de ce droit politique qu’est le droit constitutionnel. Sa spécificité repose sur une constante interaction du droit et de la politique, d’où résulte, à travers un dialogue parfois difficile, la conciliation toujours incertaine de leurs préoccupations respectives. Instrument inattendu de cette interaction, le Conseil constitutionnel aurait alors permis d’établir un échange jusque-là étouffé par la prépondérance exclusive de la volonté politique majoritaire, ou plutôt de ses expressions successives et contradictoires, au moment même où celle-ci s’affermissait massivement et durablement.

Cinq années se sont écoulées depuis la deuxième édition de ce volume, avec deux alternances, ce qui exigeait de nouvelles contributions. Les voici, ajoutées aux premières, qui ont fait le succès de ce numéro, aidé par le succès du Conseil constitutionnel.

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