Philippe ARDANT, Pierre DABEZIES

Introduction

Pouvoirs n°10 - Les pouvoirs de crise - septembre 1979 - p.3

Loin d’être étrangère ou opposée au droit la crise lui est consubstantielle et familière puisqu’il a précisément pour fin de la prévenir, de la figer, de la circonscrire ou de la maîtriser…, parfois d’en sanctionner les effets inéluctables, sinon, à l’extrême, de s’y adapter. Divorce, faillite, conflits individuels et dommages en tout genre, crimes et délits… autant de hasards où s’impose sa nécessité.

Mais voici une guerre, une émeute, un cataclysme… plus encore aujourd’hui le terrorisme sans règle et l’économie déréglée, où, cette fois, la société, l’Etat, le régime, le pouvoir se trouvent menacés. A ce niveau collectif, l’ordinaire le cède à l’exceptionnel. La puissance publique et la raison d’Etat se profilent. Le droit devient gêneur. Le problème change d’aspect !

Ainsi parle Machiavel : « Dès l’instant que le salut de l’Etat est en jeu, aucune considération de justice ou d’injustice, d’humanité ou de cruauté, de gloire ou d’ignominie, ne doit plus intervenir. Tout moyen est bon qui sauve l’Etat et maintient sa liberté. »

S’il raisonne ainsi, toutefois, l’Etat se renie, prenant le risque de perdre fidélité et respect en sapant les valeurs mêmes qu’il exalte aux heures d’harmonie et de paix. Mieux vaut peut-être pour lui soit faire face avec les règles des temps ordinaires, soit garder en réserve une législation spécifique et dissuasive, capable, le jour venu, de désamorcer les périls. On verra plus tard comment s’adapter ! Le pire, n’est-ce pas de violer le droit sous prétexte de l’imposer ?

Mais l’événement laisse-t-il tellement le choix? Avant même d’aboutir la crise a la vertu corrosive de semer le doute sur l’avenir. Qui va l’emporter ? L’expérience le prouve, les fonctionnaires se terrent, l’Etat déjà se vide. Les gouvernants louvoient, faute d’avoir assez de force pour sortir du droit ou pour l’appliquer. La demi-mesure est reine : il s’agit de doubler le cap, non de triompher !

Ainsi, après tant de péripéties, dans notre pays notamment, le problème reste posé. En passant du particulier au collectif, les choses changent-elles de nature ou seulement de degré ? Bref, comment trouver en droit public des solutions aux crises permettant, comme en droit privé, d’assurer à la fois la sécurité, l’équité et la liberté ?

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