Philippe ARDANT, Hugues PORTELLI

Introduction

Pouvoirs n°38 - L'armée - septembre 1986 - p.3

L’histoire de la Ve République et celle de son armée sont indissolublement liées. Sans la crise du 13 mai 1958, prise en charge par l’armée coloniale, l’avènement du nouveau régime aurait vraisemblablement connu un tour différent tout comme le « processus » par lequel Charles de Gaulle, homme d’Etat mais aussi militaire, retournera au pouvoir. A l’origine de la Ve République, au point que certains – qui se sont ravisés depuis – parleront de « coup d’Etat permanent », l’institution militaire conditionnera ses premières années : le putsch d’Alger de 1961 précipite la présidentialisation du régime (art. 16) mais aussi son assise populaire (avec l’élection du Président au suffrage universel). Quant au choix en faveur du nucléaire, il aboutira à donner au Président de la République le véritable commandement des armées, tranchant les débats institutionnels en la matière et nourrissant le débat sur son « domaine réservé », qu’il s’agisse de la politique étrangère ou de la « coopération ».

Ce lien étroit entre l’agencement des pouvoirs et l’organisation de la défense nationale n’est pas seulement riche de problèmes constitutionnels – comme celui né depuis le 16 mars 1986 avec la « cohabitation » -, mais aussi d’incidences politiques et internationales.

Le rôle essentiel de la défense dans la hiérarchie des politiques le principe suivant lequel « il n’est pas de grande gloire d’homme d’Etat que n’ait dorée l’éclat de la défense nationale » (Le fil de l’épée) est partagé par tous les présidents successifs – donne à l’armée un pouvoir d’influence d’autant plus sérieux qu’il est renforcé par ses implications financières et économiques (l’industrie de l’armement étant une composante vitale de l’économie nationale et les ventes d’armes pesant sur la balance des paiements). Au-delà, l’organisation et la stratégie nationales de défense commandent les choix de politique étrangère, les transferts éventuels de souveraineté (envers
les alliances ou les institutions européennes).

Les problèmes de défense, quand bien même ils feraient l’objet d’un consensus, plus apparent que profond, dans la nation, conditionnent donc la vie du régime issu de la Constitution de 1958. Ils l’orientent aussi quant à son avenir. Les débats qui se sont rouverts sur les questions stratégiques – à partir de l’Initiative de Défense Stratégique américaine – reposent la question de la crédibilité à terme de la dissuasion nucléaire, tout comme le coût croissant de la politique de défense conduit à s’interroger sur la capacité de la France à poursuivre longtemps dans cette voie.

Une nouvelle fois, c’est l’avenir de la « présidence nucléaire » qui est remis en cause.

C’est à la genèse des rapports entre le politique et le militaire depuis 1958 et à leur dimension institutionnelle que s’attache donc cette série d’articles, qui éclairent sans esprit polémique cet aspect souvent occulté de la Ve République.

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