Olivier DUHAMEL

Les juges – introduction

Pouvoirs n°74 - Les juges - septembre 1995 - p.5

« Le juge reste une question politiquement incorrecte n’ayant toujours
pas acquis la pleine dignité démocratique », écrit Antoine Garapon dans
l’article introductif du présent numéro de Pouvoirs. Raison de plus pour la
poser. Ce devoir d’impertinence, il convient d’ailleurs de le prolonger à
l’égard du juge lui-même, comme le fait à sa manière historique Robert
Badinter et, sur le mode psychanalytique, Daniel Soulez Larivière. Il faut une
grande insensibilité à l’autre pour faire un juge, affirme crûment notre avocat
iconoclaste. La nécessité des réflexions qui suivent dépasse de beaucoup
notre souci de contribuer à l’intelligence de l’actualité, ô combien judiciaire !
Elle part du fait, souligné par le juge Alain Renaut, que l’emprise de plus en
plus grande de la justice sur la vie collective est un des faits majeurs de notre
fin de siècle. La judiciarisation touche toutes les sociétés démocratiques.
Il nous faut donc apprendre à penser autrement le juge. Nul ne peut plus
sérieusement soutenir qu’il ne soit que l’oracle de loi. Comment contenir un
pouvoir aussi émancipé ? Question de principe et question pratique. A la première,
Pierre Bouretz répond par l’idéal de justice, horizon nécessaire de l’institution
judiciaire. Pour la seconde, Daniel Ludet propose de reprendre le problème
de la responsabilité du juge et suggère, entre autres, de mettre fin au
secret qui recouvre encore chez nous les sanctions disciplinaires. Thierry S.
Renoux revient sur les récentes modifications de la Constitution, qui prennent
partiellement acte de la nouvelle place du juge dans notre système politique.
Reposer la question du juge, mais aussi tenter de mieux le connaître : tout
le monde sait que la profession s’est féminisée, mais beaucoup ignorent encore
à quel point sa formation a été transformée par la création, somme toute
récente, de l’École nationale de la magistrature. Anne Boigeol insiste à juste
titre sur ces mutations, tandis que Mireille Imbert-Quaretta analyse
l’extrême multiplication des missions confiées à un juge pourtant de plus en
plus solitaire pour les exercer. Le développement de la justice de proximité
offre probablement la solution la plus efficace pour remédier non seulement
à l’embouteillage des juridictions mais aussi à l’écartèlement mentionné.
Hubert Haenel plaide ici pour cette voie qui lui est chère. Ces considérations
d’intérêt général ne doivent pas faire oublier l’importance de la carrière et les
moyens de la réussir. François Colcombet nous les dévoile.
Nous avons délibérément limité le présent numéro à la France, tant les
problèmes étaient déjà d’importance. Mais les auteurs ne se sont heureusement
pas privés de remarques comparatives, et Jean-Pierre Royer a bien
voulu clore ce numéro par des données grâce auxquelles chacun pourra élargir
son regard.
OLIVIER DUHAMEL

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